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Lucienne Soucy

Je caressais le projet de faire cet exercice. Et voilà que l’on propose de m’aider à le faire ! Quelle belle aventure au pays des femmes de ma lignée avec une lignée de femmes solidaires et inspirantes. Les questionnements s’enchaînent. Comment les retrouvailles se feront-elles ? Avec bonheur, détachement, anxiété, guérison, dépassement de soi ? Surexcitée, je suis à l’écoute des autres, confiante, mon écriture sera alimentée par toutes les femmes de l’atelier, leur vécu, leurs mémoires, leurs écrits, leurs blessures aussi. Et je plonge littéralement dans mes souvenirs. Des images heureuses, de la gratitude à offrir, les mots se bousculent pour accueillir ce qui s’offre en cadeau, en guise de réparation, parfois. Pour colmater quelques blessures, aussi. Quel bonheur de revisiter le mot sororité ! Quelle joie de reprendre le chemin de l’écriture !

Cheveux lilas - illustration Sophie de la Brosse

Kasàlà pour ma petite-fille Emma

 

Je m’appelle Emma Gagnon

Mon nom, mon doux nom, est doublement germanique 

Je suis une « maison »

Un refuge où ma lumière se reflète 

Je suis « universelle »

Un univers qui dessine un futur arc-en-ciel

 

Je suis aussi le diminutif d’Emmanuelle

Celle qui porte la bonne nouvelle

J’entends le murmure de ce nom si évocateur

Je ressens le désir de rester à sa hauteur 

 

Je suis donc Emma, porteuse de bonne nouvelle

Et la bonne nouvelle, c’est moi!

J’arrive le 13 janvier 2008

Réveillée par le gel de cette nuit-là 

Juste avant mon irruption dans la vie

Dans le tunnel avant la sortie imminente

Je tourne la tête vers la gauche 

Comme dans la caverne de Platon 

Mes yeux restent accrochés à une indicible vision :

Ma famille

Nous sommes quatre dans une maison enchantée 

À Sherbrooke, ville de poètes

Papa, maman

Ma sœur, Laura, de deux ans ma benjamine et moi

Laura, ma complice, mon inséparable, mon verre de mer préféré

 

J’entrevois un coin de ciel bleu

Celui de Maria en Gaspésie

Où habitent mon papi et ma mamie

J’entrevois la une pour lune que je pointe du doigt dans les bras de papi

Les emi pour fourmis joyeuses sur le patio dans la Baie-des-Chaleurs

Je m’exclame « c’est beau la mer » bien avant d’avoir deux ans

Je découvre le premier sapin et m’étonne autant de sa hauteur que des nombreux cadeaux en ce premier Noël où toute la famille est réunie

 

Un doute sans doute retarde mon arrivée de plusieurs heures    

Je ne suis pas aussi pressée que ma maman

Que ma mamie qui pleure, qui regarde l’heure toutes les cinq minutes

Que mon papi, patient, qui pointe l’horloge

Ce n’est que douze heures plus tard que je me décide 

Le médecin m’aide à retourner ma tête

Il est 22 h et je lance mon premier cri de terre

Me voilà, petit bébé tout rond, tout rouge

Fouissant mon nez, ma bouche pour trouver le sein de maman 

Enveloppée 

Dans le regard de papa Jean-Pierre

 

Je m’appelle Emma Gagnon

Je suis le soleil qui illumine vos histoires

Je suis la novæ qui sème les rires 

En petites bulles prêtes à éclater 

Présage de promesses rassurantes

 

Je suis Emma, l’inspirante 

Celle qui porte le verbe aimer dans son âme

Emma, la douce, au passé…. simple

Née d’une mère tout aussi inspirante

Mylène, que je surnomme ma mamou d’amour

Aussi puissante que tous les mouflons des Rocheuses

Aussi invincible que les femmes de ma lignée

 

Pour m’accompagner sur mon chemin

Des sentinelles bienveillantes s’animent autour de moi

Mamie Lucienne, l’harmonieuse, sur le bout des doigts de la poésie, du haïku, la ricaneuse qui porte en son nom la lumière

Papi Jean-Guy, le bricoleur scientifique. Il guide mes yeux vers les étoiles et les aurores boréales et construit une maisonnette avec mon nom gravé sur la porte 

Grand-mère Gilberte, la philosophe, la douce maman de mon papa 

Grand-père Patrice, l’amoureux de la forêt qui plante un érable près de son chalet en mon honneur

 

Je m’appelle Emma Gagnon

Emma l’inspirante

Je suis une force pacifique 

Aux dires de mes amies, je suis attentionnée, patiente, empathique

Très autonome, volontaire et déterminée

 

En ce jour de ma naissance

Un amas de vaisseaux sanguins cristallise mon arrivée 

Une lueur bleue, bleu de mer 

S’imprime sur une de mes jambes 

Une signature, un dessin, mon destin 

Une lueur bleu de mer, comme la baie des chaleurs

Avec ses plages de sable et de galets 

Ses pierres semi-précieuses, agates et gaspéites

La baie des chaleurs

Je plonge dans sa fraîcheur

Je nage dans son immensité en compagnie des bernard-l’ermite

Des bébés crevettes et des mini crabes 

Je suis un poisson dans l’eau de mer

Et je teste mes limites et mon équilibre 

Sur ma planche à pagaie 

Il faut dire que dès l’âge de six mois

Je suis dans la piscine, j’apprends à nager

 

Et je danse, danse

Je file à vélo sur de longue distance

J’escalade des montagnes, des très hautes 

Malgré la douleur parfois

Et le bas soutien qui m’aide à bondir sur les ans 

 

Grâce à cette esquisse bleue

J’acquiers une maturité précoce

Très jeune, je sens le besoin et la responsabilité 

De prendre soin de moi 

De ma famille aussi, mon cocon, mon pilier

Là où je peux m’exprimer en toute confiance   

Où l’on m’encourage à avancer 

Je suis une belle beauté, poétiquement nommée par mon papa 

Je fonce sur mon chemin 

Tête haute et regard scintillant 

Tourné vers les étoiles et mes rêves   

 

Je suis Emma Gagnon, l’inspirante

Ange premier de la lignée Soucy LeBlanc

Ce même jour, le 13 janvier en l’an 1913 

Les cloches de l’église

Du petit village de Maria en Gaspésie

Sonnent pour annoncer le mariage 

De mes arrière-arrière-grands-parents maternels

Émile LeBlanc et Diana Audet

Quelqu’un a écrit quelque part

Que je ferais partie de cette grande famille

Quelqu’un a tissé dans le temps 

Les nombreux liens 

Qui m’unissent à ma lignée

 

Je suis Emma, l’artiste 

Inspirée et inspirante

Originale et créative

Je dessine avec solennité 

Au crayon noir sur papier blanc de brume

Des renards, des soleils, des lunes

J’accueille ce talent

Ce cadeau qui colore ma vie

 

Moi, Lucienne, ta mamie de Haute-Gaspésie 

Et de Maria, la magnifique, dans la Baie-des-Chaleurs 

Je suis de fureur d’hiver et de brises d’automne

D’air salin et de vent de fierté

Où les algues, les grèves et les galets m’enlacent 

Où l’écho des montagnes me bordent 

Et où le ressac des vagues m’interpelle   

Dans sa rude beauté 

Pour célébrer ta naissance

Avec ses phares qui me guident et m’entraînent 

Vers la musique du jour, ce 13 janvier 

 

Cette journée-là

Le froid fait chanter la maison 

Les anges la survolent pour veiller avec moi  

 

Toi, Emma Gagnon

Déjà engagée à vouloir faire le bien

Je t’accueille dans notre grande famille 

Où des bourrasques de neige s’engouffrent 

Pour commémorer ton arrivée 

Où aucune tempête

Ne m’empêchera d’aller à ta rencontre

De te prendre la main

De te murmurer à l’oreille  

Des je t’aime échevelés et résonnants

 

Aussi je dessinerai avec toi

D’autres femmes de la lignée tout aussi inspirantes 

Pour que tu puisses toujours habiter ton nom, ton doux nom

Et qu`à mon tour je puisse 

Tenir le soleil pour toi

Kasàlà pour ma petite-fille Emma - un dessin d'Emma

Je me souviens de toi, maman Antoinette

Je me souviens de toi, maman Antoinette. Je me souviens de cette neige si blanche tombée sur tes cheveux de jais.

Je me souviens de l’étonnante crinière que tu portes fièrement, tel un chapeau étrenné aux joyeux jours de Pâques de tes belles années.  

Je me souviens de ces soirées où j’aime tant te décoiffer. Les yeux brillants, tu déposes lunettes et prières, tu t’approches du miroir de la cuisine, te rapproches un peu de moi, encore un peu, un peu plus près. Brosse, brosse, brosse, comme un mantra; sous la caresse de la brosse, un roucoulement. 

Je me souviens de mes mains qui vont et viennent sur ta chevelure emmêlée. Je dépeigne tes cheveux au diapason de tes mains lorsque tu tresses les miens.   

Je me souviens du petit ronflement qui monte et monte comme une rumeur, une humeur d’apaisement bienvenue. Et cette senteur de fricassée, qui se faufile entre mes doigts, attise le souvenir joyeux autour de la grande tablée. Je respire l’odeur de tes cheveux ébouriffés, le lilas, il s’arrime à tes mains infatigables, à ce moment où je les effleure pour les étreindre avant d’appliquer cette crème au parfum incrusté dans l’enfance.

Pour quelques heures sous la bataille de tresses et bigoudis, tu redeviens l‘échevelée qui retrouve place au mi-temps de ta vie, ce temps d’avant, d’avant nous.

Moi, l’enfant de 10 ans, j’entre dans ta bulle. Nous sommes deux dans la cuisine remplie de bruits, de rires. 

Il fait doux en ces soirées où tu baisses les bras, où tu te laisses cajoler, enfin te reposer. 

À ce moment, je suis ta mère, tu es ma fille.

Je me souviens de ma sœur Ginette

Je me souviens de ce soir d’hiver où tu arrives, bras ouverts et cœur fleurant la neige, pour faire irruption dans mon cocon de jeune maman avec un 2e enfant. 

Je me souviens, il fait froid en janvier 1978, le vent souffle, la tempête s’annonce. Tes yeux lumineux bercent déjà deux semaines remplies de tendresse, de dévouement et de magie. Tu es là. Je respire mieux. Mes yeux remplis de gratitude effleurent les tiens. Nous sommes là, émerveillées devant ce tout petit bébé de 9 livres et 9 onces, arrivé 15 jours avant son temps. 

Je me souviens de tes gestes, tu vadrouilles, époussettes, virevoltes dans la cuisine, petits plats et vaisselles propres, tu joues à la buandière et tu m’obliges à dormir lorsque bébé dort. Tu t’affaires comme une abeille pour assurer mon confort, alors que moi j’accueille cette affection sur un bout de larme. 

Je me souviens de notre complicité de ce moment. Nous caressons les souvenirs dans l’odeur du lilas, de la lavande, nous allumons les lumières de la grande maison pour entendre nos rires, nos fous rires qui se détachent de nos foulards de laine. Dans la chaise berçante, les broches à tricoter chantonnent, les tiennes, celles de maman. Nos larmes se taisent au bonheur simple de la maisonnée de notre enfance.

Je me souviens de toi, ma sœur Ginette, mon aînée de quatre ans, au cœur de la famille. Le maillage n’est plus à faire, les liens sont tressés pour la vie. 

Je me souviens de ce mot si simple, si rempli de promesses tenues. MERCI!  

Mais, je ne me souviens pas avoir déjà épelé ton nom pour te le dire.  

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