Laurence Galarneau Girard
J’ai eu la chance de découvrir la force des kasàlà en novembre dernier, lors d’un atelier d’un week-end. Depuis, j’ai repris la plume pour célébrer des gens qui me sont chers dans des contextes forts en émotions. Quand j’ai vu l’invitation de Thuy pour le projet « Nos lignées de femmes », ça m’a semblé tout naturel d’y prendre part pour plonger encore plus dans cette forme d’écriture, mais aussi, dans ma propre lignée de femmes afin de la reconnaître et lui faire honneur. Je réalise à travers ce projet que, bien que mes influences soient multiples, les femmes que j’ai envie de célébrer ont toutes croisé mon chemin en personne à un moment ou un autre. Je connais leur voix, j’ai croisé leur regard, touché leurs mains. Elles sont belles, réelles et simplement elles-mêmes, dans toute leur puissance!
Kasàlà à ma lignée de femmes
Je suis Hélène Durant
Fille des plaines infinies
Fille de Marie et de Léopold
J’ai ancré mes racines dans la métropole
Puis, j’ai doucement dérivé vers Lavoisier
Dans une demeure ouverte et chaleureuse
Où la générosité et l’accueil fleurissent
Mes feuilles dansent dans le vent, naturellement
Témoins de ma coquetterie toujours renouvelée
Mes doigts rabougris ont brodé, cousu
Mes plus beaux habits et ma robe blanche
Je choisis mes mots avec précision
Et les couches comme une dentelle sur le papier
Avec amour, je lègue à trois générations
Mon héritage de musique et de français impeccable
Les années me voient rapetisser
Mon corps est menu, mon esprit est grand
Ma peau laisse croire que je suis d’une autre ère,
Mais mes idées n’ont pas d’âge.
Elles sont limpides, généreuses
Se renouvellent, suivent les courants.
Je suis femme actuelle.
Ma vie est ralentie.
J’ai l’âge des arbres solides
Que je me plais à observer suivant le rythme de la lumière
Je brave les intempéries, traverse les saisons
Pour que chaque jour, mes pas me mènent dans la forêt
Où la nature emplit mes poumons de beauté,
Que tous les soirs, je partage avec ceux qui me sont chers.
Toute ma descendance, au bout de mes lèvres.
Par ma force j’attire vers eux la santé et le bonheur.
Mes sœurs, mes filles autour de moi
Je poursuis ma route, pas à pas
Je suis bien
L’énergie coule en moi
Abondante sève sucrée
Source intarissable de bien-être
Je suis indépendance.
Je suis Gram, je suis Gram-Gram.
Je suis Mère, grand-mère, Je suis arrière-grand-mère.
Je suis sœur
Je suis femme
Je suis la force de l’arbre.
Je suis Yolaine
Fille de la métropole
Fille d’Hélène et de Jean.
Droite et sûre de moi
Ma force réside dans mes actions
Et je fonce dans ma carrière.
Alors que l’aventure et la liberté m’aspirent vers les champs.
J’y construit un royaume généreux
Où résonnent les rires d’enfants et les chants d’oiseaux
Où les besoins sont entendus avant d’être prononcés
Mes idées sont claires et je vois grand
Mes bras abritent toute une écologie
Dont je maintiens l’équilibre par ma clairvoyance
Je m’implique de ma tête, de mes mains et de mon cœur
Dans le brouillard, je sais rallumer le phare
Apaisant et rassembleur.
Dans les tempêtes, ma lumière guide
Je soigne, réchauffe et accompagne
Du tout premier souffle de vie jusqu’au tout dernier.
Forte, je retiens mes pluies
Et éponge celles des autres.
Je suis digne de mon nom-soleil.
J’ai le luxe du temps
Et depuis, ma chaleur voile toutes les saisons
De ma cuisine, mes cheveux se sucrent
Et les petits becs se délectent
Ma peau douce devient refuge
Et mes mots bercent vers le sommeil.
Je suis dévouement.
Je suis Mom, je suis Yo
Je suis mère
Je suis grand-mère
Je suis Femme
Je suis la générosité du soleil
Je suis Justine
Fille de mer et de vent
Fille de Yolaine et de Michel
Ma berge accueille les vagues émotives
Et mes falaises protègent
Attentive, j’ajoute mon grain de sel
Pour faire briller à nouveau les yeux mouillés
De mon souffle, je joue des mélodies
Et je murmure des mots d’amour
Que je laisse s’envoler vers les cœurs amis
Je suis passion.
Mes émotions sont bourrasques
Et je cours d’une marée à l’autre.
Mes paroles en flots continu
Ne sont que débordements enthousiastes
Ma plage est dynamique
Je suis de la grande lignée des femmes-énergies
Je sais dompter les tornades
Je suis le zéphyr et le squall
Je fonce et déplace les caps
Mon air salin soigne et aime
Je caresse et enveloppe mes enfants
Je les anime et joins mon rire profond aux leurs
Je suis présence.
Je suis Juju
Je suis mère
Je suis sœur
Je suis femme
Je suis la beauté de la mer
Je suis Marie-Michèle, Kathleen et Elisabeth
Filles urbaines et rurales
Fille de l’une, de l’autre, de tous
Je suis l’amie fidèle
La présence constante indéfectible
J’inspire la résilience
J’expire l’enthousiasme
Je possède la force des océans
Qui déplacent des montagnes
Emplissent les crevasses
Et embrassent les rives et dérives.
Capitaine de ma famille
Je connais les ressacs
Les évite ou les affronte
Et malgré les tempêtes
Je déferle de joie de vivre
Sur mes enfants
Je suis Carlota, Marianne et Valdilia
Je suis mère au large
Ma langue et ma culture en îlot isolé
Je crée les liens, sers de traversier
Mon rire est universel
Je transmets mes mots d’amour selon ma mélodie
Mes enfants sont d’ici et d’ailleurs
De moi, de lui, des méandres de nos lignées
De notre navire d’accueil.
Je suis diversité.
Je suis Boubou, Éli, Marimi
Je suis mère, Je suis amie, Je suis femme
Je suis la fougue des océans
Et le calme de mes îles
Et moi, je suis Laurence
Fille de rivière
Fille de Yolaine et de Michel
J’ai la douceur de l’eau
Ma voix coule entre les roches, paisible
Et à travers les galets, je vois clair.
Sereine, je suis le courant,
Je n’hésite pas à sortir de mon lit, à redéfinir mon trajet
Pour créer.
Je m’inspire et porte fièrement
L’énergie des femmes de ma lignée
Le soleil me fait étinceler
Le vent me pousse et la mer m’accueille
Les arbres me protègent et m’embellissent
Je suis rivière et je suis nature
Ces femmes sont ma source
Et mon embouchure
Facilement, mes larmes coulent
Sillonnant naturellement
Un chemin assumé
Et sensible.
Forte de mes expériences
Je traverse les méandres
Et me repose, de fosse en fosse.
Je suis sagesse.
Je suis Loulou, Je suis sœur. Je suis tante
Je suis Femme
Je serai mère
Je suis la bonté de la rivière
Et toi, enfant espoir
Enfant avenir, être en devenir
Enfant de mer, de champs, de rivières, de forêts
Enfant-phare.
Tu as toutes ces femmes, ces mères, ces sœurs, ces amies
Pour t’élever au-dessus des vagues
Te tendre la main, te pointer le chemin
Tu as toutes ces femmes pour écouter ton vent
Pour sentir tes humeurs
Pour te relever et te suivre jusque dans les sommets
Pour te partager l’horizon des possibles
Au-delà du visible
Tu as toutes ces femmes pour te souffler sagesse
Enfant espoir
Tu es aussi enfant de neige, de fleurs et de roc
Enfant-cèdre, enfant-montagne.
Tu as tous les pères et les frères
Partenaires et amis de tes mères
Pour inclure toutes les nuances que la nature peut offrir.
Tu as tous ces êtres pour t’aimer
Je t’invite, mon enfant, à entrer dans notre lignée
À te rappeler d’où tu viens
Et à trouver ton chemin jusqu’à nous.
Je me souviens de toi, Laurence
Je me souviens de tes jambes repliées et de ton dos droit. De toi, assise seule sur un joli coussin rond parfaitement assorti au tapis sur lequel il est posé. Les plafonds angulés semblent créer une arche au-dessus de toi et soulignent ta sérénité. Il me semble que tes yeux fermés voient la douce lumière du soleil, dont les rayons chatouillent ta peau. Je sais que tu adores cette sensation de chaleur à la surface de ton visage. Te voir ainsi me fait sourire et au même moment, tes commissures se soulèvent légèrement. Immobiles, tes longs doigts délicats reposent sur tes cuisses. Je vois ton ventre suivre le rythme de l’air qui entre et sort, en vagues. Je sais que se rendent à tes narines la verveine des Indes qui se diffuse près de toi et l’odeur de cannelle et de chocolat qui monte de la cuisine. Dans ce moment de grâce, je te trouve magnifique. Dans cet état de connexion au cœur, tu t’es reconnue, tu m’as reconnue. Cette femme, c’est toi, c’est moi.
Je me souviens de tes bras, Justine
Je me souviens d’entrer sans cogner. De pousser la porte qui fait toujours le même grincement désagréable. Je n’ai pas souvenir de la refermer. Ce qui se referme, ce sont plutôt tes bras autour de mon corps tremblant, malgré la chaleur. Sans un mot, tu me laisses déverser la rivière de peine qui m’habite. Tes mains solides me poussent gentiment vers le divan. Je le flatte machinalement, pour reconnaitre sa douceur veloutée puis me cale pour le sentir m’absorber le plus possible. M’engloutir. Tes yeux patients sont posés sur moi. Ma rivière déborde à nouveau. Débâcle. Tu as des sceaux à l’infini pour la recevoir. Ta paume chaude réchauffe mon cou, tes doigts caressent mes cheveux. Ça me fait du bien. Je te sens si présente. Tu laisses échapper quelques mots apaisants, sans rien demander en retour. Je souffle, j’apprécie. Ton épaule s’éloigne légèrement de la mienne et tu maintiens le lien d’une main sur ma cuisse. Présence. Je ne vois pas tes yeux demander, mais j’aperçois ton chéri poser devant moi quelques biscuits bien chauds. Mon nez n’avait pas su détecter cette autre attention que tu préparais pour moi, mais mes vêtements en garderont l’odeur réconfortante jusqu’à ce que je tombe de sommeil. Justine, ma sœur, mon refuge. Tu es l’île où je peux me poser quand le déluge passe. Je t’en suis infiniment reconnaissante.